RDC: Petites provinces, grandes interrogations

Publié le par Grand Beau et Riche Pays

Des textes existent, mais lorsqu’on omet de les relire, leur application est d’ autant plus malheureuse. À l’exemple de ce que Mobutu aurait surnommé de « provincettes ».

Le démembrement des provinces était prévu à l’article 2 de la constitution approuvée par référendum en 2005. La particularité est que le texte avait été traduit, aux frais de la Communauté internationale, dans les quatre langues nationales. Mais la firme de traduction "sudaf" avait utilisé un vocabulaire académique incompréhensible ; de plus, quelques milliers d’exemplaires seulement avaient été distribués et on avait tout bonnement invité la population à télécharger les textes sur le site de la commission électorale.

On peut débattre de la validité d’un tel référendum puisqu’ il s’ est avéré en 2015 que les gens n’avaient même pas pris connaissance du tout début du texte en son article 2 ! Mais le gotha politique le savait. La constitution avait exigé que les 26 provinces soient installées dans les 36 mois, soit au plus tard en 2010. Effectivement, les gouverneurs élus en 2007 avaient présenté des programmes pour trois années seulement. D’un autre côté, les assemblées des 11 provinces avaient été scindées en 26 entités pour élire chacune quatre sénateurs. Et, en troisième lieu, la constitution avait été modifiée en 2011 pour supprimer, non pas seulement le 2è tour du scrutin présidentiel, mais aussi l’échéance de 2010 de l’installation de 21 nouvelles provinces qui serait décidée par une loi. C’est cette loi qui a été promulguée le 28 février 2015, soit près de 10 ans après le référendum.

Le « découpage » ou « démembrement » a été accéléré au mois de juillet avec l’annonce par le gouvernement central de l’installation au début du mois d’ août 2015 des institutions provinciales qui se composent des assemblées provinciales et des gouvernements provinciaux (gouverneurs, vice-gouverneurs et 10 ministres) pour totaliser 312 « excellences » locales. Puis la CENI a tout récupéré en avançant et en modifiant aussitôt son propre calendrier qui fera élire les gouverneurs le 23 octobre 2015.

Ce ne sera pas la fin du processus. Avant de prendre fonction, les gouverneurs devront être validés par ordonnance présidentielle, et obtenir l’approbation par leurs assemblés provinciales de programmes de gouvernement et de leurs équipes ministérielles. Cela permet d’envisager l’installation des institutions à mi-novembre, soit 3 mois au-delà des annonces du gouvernement.

La CENI, elle-même, a de sérieux problèmes. La Constitution exige qu’en cas de vacance, un nouveau gouverneur de province soit élu dans les 30 jours. C’est ce délai qui devrait servir de référence. Mais, non ! La Commission électorale avait déjà mis sept mois pour combler la vacance de gouverneurs devenus députés en 2012 et, dernier du cas, feu Koyagialo, décédé fin 2014, n’a pas été remplacé après plus de huit mois…

On peut s’en étonner. Les gouverneurs de provinces ne sont pas élus au suffrage universel et leur corps électoral se compose de quelques dizaines de députés qui peuvent être réunis en une petite salle. C’est de loin plus facile à organiser que les assemblées générales électives des cercles privés et d’associations civiles. Mais le calendrier de la CENI compte 52 jours (ou 57 % de dépassement du délai constitutionnel) pour réaliser 15 formalités pour 21 nouvelles provinces, soit un casse-tête de 315 procédures.

Lorsque le programme d’installation des provinces avait été promulgué le 28 février 2015, la CENI venait de ficeler, le 12 février, un « calendrier global » des élections provinciales, urbaines, municipales et locales en 2015 et d’élections présidentielles et législatives en 2016. La Commission n’a pas intégré ce round électoral. Elle vient d’affirmer que « le report de l’élection des gouverneurs de nouvelles provinces ne perturbera pas le calendrier global des élections prévues en 2015 et 2016 ».

Mais voilà : dans ce calendrier global immuable, de nouveaux députés seraient élus le 25 octobre, date qui correspond à la prise de fonction de nouveaux gouverneurs des « provincettes ». Les nouvelles assemblées elles-mêmes seraient installées le 25 décembre, ce qui mettrait fin ipso facto à la députation des élus de 2006 et aux fonctions des gouverneurs, vice-gouverneurs et ministres des provincettes fraîchement installés. D’autres nouveaux gouverneurs seraient élus le 31 janvier 2016 et proclamés le 16 février. Etc.

Autrement dit, et dans les conditions actuelles des affirmations et assurances données par le gouvernement et la CENI, les assemblées provinciales des « provincettes » fonctionneront cinq mois, et les gouverneurs, vice-gouverneurs et ministres provinciaux, quatre mois seulement. Cela, sans parler des autres aspects de cette valse des chaises. Par exemple, les honorables et excellences ont droit à des indemnités d’entrée et de sortie. En 2011, les membres du bureau de l’assemblée provinciale de l’Équateur, je crois, s’étaient alloué des indemnités de sortie sur la base de l’échéance constitutionnelle de 2010 qui n’a pas eu lieu. Au Katanga, le règlement intérieur de l’assemblée provinciale alloue, entre autres, un véhicule à chaque député à l’entrée et à la sortie, ce qui leur permettrait de prétendre à trois véhicules supplémentaires en l’espace de 5 mois. Sans parler des 72 gouverneurs, vice-gouverneurs et ministres sortant des 6 provinces démembrées et des 252 entrant et sortant des 21 provincettes..

Et tout ceci, pour tout cela ? Car les dégâts et les traumatismes inqualifiables causés par ces improvisations et télescopages de calendriers sont évidents. C’est ici que les règles de la bonne gouvernance, mais aussi de l’économie politique, en termes d’« utilité marginale » rejoignent l’« éthique du juriste » : il faut rechercher et implanter des solutions, plutôt que créer des problèmes nouveaux.

Marcel Yabili

Texte publié par DESC-WONDO http://desc-wondo.org/chronique-de-desc-petites-provinces-grandes-interrogations-maitre-marcel-yabili/

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