Respecter le père, ne pas violer la mère

Publié le par Grand Beau et Riche Pays

C’est élémentaire : la Constitution est supposée connue de tous. Et, en RDC, tous devraient savoir que la loi suprême énonce par trois fois le principe de " l’Etat de Droit" : dans le préambule, dans l’exposé des motifs et à l’article premier. C’est ainsi qu’on n’est pas élu et on ne rechercherait pas à l’être pour X nombre de chantiers ou pour Y types de modernités… Le premier chantier et la vraie modernité restent le serment présidentiel de respecter la Constitution et, partant, d’instaurer et de sauvegarder un Etat de Droit.

Ce principe majeur vise à " faire appliquer les mêmes règles à tous et par tous, sous le contrôle d’une justice indépendante, sage et compétente". Mais il y a une nouvelle explication que j’ai avancée dans mon livre sur la Cour Constitutionnelle. Les dictateurs s’empressent à se doter de constitutions taillées sur mesure, reconnaissant la primauté de la loi. Malgré une teinte de mauvaise foi, les spéculations pour modifier la Constitution ou la remplacer par une autre font également allégeance au principe d’une loi suprême.

En effet, tous ceux qui s’accrochent au pouvoir, l’exercent ou en abusent savent qu’ils y ont accédé à la faveur d’actes juridiques (élections, investiture, nomination. Etc) et qu’ils agissent selon des attributions formulées dans des lois. Sans lois, ils seraient ramenés au rang de simples citoyens et ne pourraient pas décider. Ceci permet d’affirmer que l’autorité publique est une ʺcréature de la loiʺ. Et de lui dire : « la loi est votre père ; la loi est votre mère. Respectez le père, ne violez pas la mère ! »

Le 12 août 2015, le Sénat s’est réuni en session extraordinaire et a adopté en une dizaine de minutes une loi controversée sur le processus électoral. Des parlementaires de l’opposition ont boycotté la séance en dénonçant l’inconstitutionnalité aussi bien de la séance que de la loi elle-même. Ils ont réagi en minoritaires, impuissants pour inverser le vote. Ils auraient pu aussi affiner et affirmer la pertinence de leurs objections, et bloquer la promulgation de la loi décriée. Cela ne nécessite qu’un recours facile devant la Cour Constitutionnelle, par 10 % de Sénateurs (soit 11 personnes) ou par 10 % de députés (soit 50 signataires). Mais cela n’a jamais été fait depuis 2006. Ainsi ne va pas la RDC : les législateurs oublient de respecter le père et de ne pas violer la mère.

La semaine d’avant, le 6 août, 33 ONGs avaient ʺexigéʺ du chef de l’Etat congolais de ne pas violer la Constitution en vue de son maintien au pouvoir au-delà de 2016 et d’ordonner la libération des prisonniers dits politiques et d’opinion. C’était nouveau. Jusque-là, les ONGs congolaises faisaient des "recommandations" pieuses. Elles ont, cette fois, "exigé". Cette escalade verbale exprime peut-être des tensions croissantes face à la radicalisation du régime.

Mais la déclaration des activistes des droits de l’homme comportait aussi un double malentendu. D’ un côté, la RDC a institutionnalisé la "société civile", sans que cela soit proclamé dans une loi fondamentale. C’est anormal. Au départ, on avait cherché à surmonter le discrédit des politiques qui avaient pris les armes et à donner la parole aux « forces vives ». Mais malgré l’implantation de partis politiques et l’organisation d’élections représentatives, la société civile obtient son quota dans les institutions. D’ un autre côté, comme le personnel politique est retors et déficitaire et n’apporte guère de propositions positives ou de la contradiction aux dérives du pouvoir, la société civile occupe cet espace, mais au risque d’oublier sa nature originelle, de se substituer et de s’identifier à une opposition politique.

En face, et par une habitude de tacler ses contradicteurs et de distribuer des cartons rouges, le gouvernement a vite accusé les ONGs de "faire de la politique". Et de les accabler. « Ils nous accusent de régenter la justice ; voilà qu’ils nous demandent de libérer des détenus et de porter atteinte à l’indépendance des magistrats ». Auparavant, le même porte-parole du gouvernement avait renvoyé les Evêques catholiques à l’évangélisation et à ne pas s’exprimer sur les enjeux politiques. Pourtant, c’est le rôle de l’Eglise de s’exprimer ; le Pape, émet des encycliques et exprime des positions politiques en fonction des évènements de l’actualité. De leur côté, les ONGs lancent des alertes sur des dérives et parlent de préoccupations citoyennes. Pour le juriste, Evêques et ONGs jouissent de la liberté d’expression. On ne peut les ridiculiser dans leurs rôles, ni les accuser de subversion.

Mais parfois, les modes d’expression pourraient être améliorés. La demande de libérations de prisonniers dits politiques nécessitait de faire la distinction entre les personnes déjà condamnées et celles en détention préventive et qui attendent d’être jugées définitivement.

Pour les condamnés, le Président de la République est le bon interlocuteur. Mais il n’est pas chef de gouvernement ou chef de la Justice. Il n’est même plus le magistrat suprême, car il ne fait plus partie du Conseil Supérieur de la Magistrature. Mais il a le pouvoir d’accorder "la grâce" et de faire libérer des condamnés. Pour l’obtenir, on lui adresse des "requêtes en grâce présidentielle". Il s’agit de demandes individuelles. Mais on ne peut le lui "exiger", ni recourir à un communiqué ni à un seul dossier pour de nombreux cas.

Pour les détenus en préventive, on peut faire appel au gouvernement. Un rappel : la révision de la Constitution de 2011 n’avait pas seulement supprimé le deuxième tour de scrutin présidentiel ; elle avait enlevé l’indépendance des magistrats du Parquet. Ce fut un retour à la normale : la loi autorise le gouvernement à donner des ʺinjonctions au Parquetʺ qui enquête et qui requiert devant des juges indépendants. La multiplication de détentions préventives par les Parquets et les O.P.J. a, selon les ONGs, créé un problème politique. Donc, de la responsabilité du gouvernement. Celui-ci s’est contenté de rappeler qu’il est interdit à l’exécutif de "donner d’injonction au juge dans l’exercice de sa juridiction… ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice". Mais le gouvernement sait faire la distinction entre le Parquet et le juge. Et qu’il lui serait tout à fait légal d’enjoindre au Parquet de libérer des détenus ou d’ obtenir des juges leur mise en liberté. CQFD.

Le gouvernement peut également rappeler au Parquet son rôle de gardien de la loi. La détention préventive doit être gérée dans le respect de la présomption d’ innocence et de la procédure pénale où, à la fin du processus, le condamné par décision finale, bénéficie d’ un délai pour organiser ses affaires et se présenter au lieu d’ incarcération et, en cas de bonne conduite, on lui accorde la libération conditionnelle après avoir purgé le quart de sa peine.

Le gouvernement de la période de l’indépendance a un devoir de s’éloigner de pratiques de l’ ère coloniale. Mais voilà : la loi sur la détention remonte à la colonisation. On remarque que jamais le colonisateur n’en avait fait une lecture aussi tronquée et méprisante des droits humains. Alors que la Charte coloniale ne comportait pas, comme la Constitution actuelle, le droit des gens à la dignité… C’est la responsabilité du gouvernement de moduler la politique des détentions. La surpopulation des prisons inciterait, comme sous d’autres cieux, à privilégier les peines d’amende et le sursis à de l’emprisonnement ferme. Les abominables conditions carcérales dépassent la simple privation de liberté dans des "mouroirs" au point que l’incarcération avant jugement n’est pas loin de la torture ou du défaut d’assistance à personnes en danger.

Enfin, la loi d’essence coloniale doit être relue correctement. L’emprisonnement à titre préventif est organisé pour les besoins de l’enquête et, plus tard, de la comparution devant le tribunal. Mais elle exprime une présomption de condamnation, avec la possibilité de compenser les jours de détention préventive avec la durée de la condamnation finale, si elle a lieu. Mais selon les termes de l’ ancien colonisateur belge, l’emprisonnement anticipé nécessite la réunion simultanée de quatre conditions : 1)- une infraction exposant à l’emprisonnement, 2)- des indices sérieux de culpabilité, 3)- l’absence d’adresse fixe et 4)- des craintes de fuite.

Ainsi, des preuves évidentes de culpabilité ne suffisent pas par elles-mêmes pour emprisonner des gens. Chaque chose en son temps. Il y aura un moment pour condamner à de l’emprisonnement et pour emprisonner. Mais pendant l’instruction et en attendant le procès ou en cours de celui-ci, qui pourrait affirmer sérieusement que tous ces détenus dont parlent les ONGs n’ont pas d’adresses connues et qu’ils présentent toujours des craintes de fuite ? Alors qu’on peut limiter leurs mouvements et que toute fuite éventuelle n’est pas à craindre comme le Sida, parce qu’elle serait une infraction nouvelle qui ne resterait pas impunie ?

Ici aussi, il y a matière à « respecter le père, et ne pas violer la mère » ?

© Marcel Yabili

Texte publié par Desc-Wondo sur http://desc-wondo.org/chronique-de-droit-congolais-au-quotidien-respecter-le-pere-ne-pas-violer-la-mere-m-yabili/

Livre: Etat de droit : les contrôles de constitutionnalité par la Cour Constitutionnelle, les Cours et les Tribunaux – 335 pages, Marcel YABILI, PUL 2012

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